Mettons les pieds dans le plat : dire qu’au XXIe siècle les étudiants d’écoles d’ingénieurs sont réticents face au monde de l’entreprise est de l’ordre de l’euphémisme.
« La jeunesse emmerde les multinationales », scanderait sûrement le groupe de punk français des années 1980, Bérurier Noir, s’il remontait sur scène aujourd’hui. Dans leur film documentaire Ingénieur pour demain, les étudiants de l’INSA Lyon sont presque aussi cash : « D’un point de vue humain, je me vois mal dans un grand groupe », dit l’une d’entre eux. « Je n’ai pas envie d’avoir des problèmes de conscience entre ce que je pense vraiment et le métier que je fais », avance un autre. « À part bosser dans une multinationale et d’énormes boîtes dans lesquelles tu es une machine et où on s’en fout des gens, je ne vois pas ce qu’on peut faire », renchérit un troisième. D’où qu’elle vienne, cette vision caricaturale et manichéenne selon laquelle l’entreprise, à partir d’une certaine taille, est coupable de tous les péchés coupe les jambes à toute une génération de futurs ingénieurs. Avant même d’y avoir mis les pieds, les étudiants rejettent les multinationales et idéalisent en retour l’univers des associations, start-up et ONG sans les avoir davantage fréquentées.
Cette défiance ne sort pas de nulle part : « Il y a trois siècles, le monde marchait à 100 % en ENR (énergies renouvelables) », rappelle l’ingénieur français et expert des thèmes de l’énergie et du climat Jean-Marc Jancovici. Mais, depuis la révolution industrielle, les énergies fossiles n’ont cessé de les remplacer, et aujourd’hui la marche arrière est coincée. « Revenir de notre monde à l’énergie fossile à un monde 100 % ENR, ce serait accepté un pouvoir d’achat divisé entre 5 et 40 », précise-t-il. Inenvisageable dans un monde où les entreprises évoluent dans un modèle économique fondé sur la croissance. Pourtant,
les jeunes ingénieurs se sentent responsables du changement à venir. Porteurs du savoir technique et maîtres des machines, ils sont la main qui a contribué à tout faire basculer, et celle qui pourrait – qui sait – tout réparer.
Pour libérer les étudiants de cette tension, il fallait délier les langues. Tel était l’objectif du tour de France des écoles INSA, imaginé par la Fondation INSA et VINCI, acteur mondial majeur de la transformation des villes et des territoires. À six reprises, les étudiants ont ainsi pu exprimer leurs questionnements, formuler leurs craintes et leurs aspirations. En retour, une dizaine d’experts issus de structures variées – grands groupes, start-up, associations, etc. – ont présenté leur manière de faire la différence dans un monde en crise, au travers de leur entreprise. Autour d’une question grand-angle – « Les ingénieurs peuvent-ils réparer le monde ? » – chacun a pu défendre sa manière de relever les grands défis du XXIe siècle. L’occasion de faire tomber quelques clichés, et de rappeler que derrière l’horizon que les étudiants croyaient bouché se cache en fait une large étendue de possibilités. Et qu’à l’école comme en entreprise, ils ne sont pas là pour subir, mais pour agir et co-construire leur avenir.