Cela dure depuis des années, mais la crise mondiale de 2020 aura fait déborder le
vase : le monde a besoin d’une nouvelle boussole pour savoir dans quelle direction avancer. « Le PIB n’est pas une bonne mesure », clame le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz. « [Il] ne prend pas en compte les inégalités, le manque de résilience, le manque de durabilité », ajoute-t-il, suggérant de remplacer PIB – produit intérieur brut – par GES – gaz à effet de serre. De fait, le PIB ayant été créé en 1934 pour mesurer l’effet de la Grande Dépression sur l’économie, sans doute la crise que nous traversons a-t-elle besoin de nouveaux outils de mesure pour calculer son impact au regard d’enjeux qui n’existaient pas il y a presque cent ans.
Le PIB n’est pas le seul indicateur qui a mal vieilli. La notion de prix est elle aussi devenue au mieux, limitée, au pire obsolète. Que comprend-on par exemple de la valeur d’une bouteille plastique en observant les quelques euros qu’elle coûte ? Son prix ne comprend ni les ressources qu’elle prélève dans l’environnement lors de sa création, ni le coût de sa fin de vie. Y inclure le coût de sa fabrication, de son transport et de son recyclage ou réemploi permettrait au contraire de « lire » grâce au prix quels produits sont locaux, responsables et durables. C’est là tout le rôle de l’ingénieur. Connaisseur des systèmes, lui seul peut évaluer le coût réel en ressources naturelles de la production d’objets manufacturés, de l’activité des machines et des services les plus sophistiqués. Comme le changement climatique, le coût énergétique du progrès technique fait partie de ces grands ensembles impalpables dont on ne parvient pas à mesurer les contours. Le numérique est-il une solution face au réchauffement climatique, ou l’une de ses causes directes ? Les deux-roues électriques sont-ils aussi écologiques qu’ils le prétendent ? Les énergies renouvelables ontelles des coûts énergétiques cachés ? Avant d’apprendre à bâtir sans détruire, l’ingénieur doit au préalable mesurer l’impact de ses créations sur le monde et, pourquoi pas, aider le grand public à le comprendre.
Pour progresser et évoluer dans son environnement, l’humain fait de la recherche et développement depuis 2,5 millions d’années – soit depuis le premier Homo. La nature, elle, le fait depuis 3,8 milliards d’années – soit depuis l’apparition du vivant. Comment ne pas être tenté de copier celle qui bénéficie de plus de mille fois plus d’expérience que soi ? Plutôt que l’épuiser dans son stock – limité – de consommables, pourquoi ne pas puiser dans le puits – illimité – de connaissances qu’elle nous offre ? Aujourd’hui, on attend moins de l’ingénieur qu’il crée du neuf mais qu’il répare et optimise l’existant dans la contrainte des ressources dont il dispose. À ce titre, le biomimétisme – contraction de bios, le vivant, et mimesis, l’imitation –, qui désigne tout procédé d’innovation ou d’ingénierie inspiré de la nature et du monde vivant, est une nouvelle corde à son arc. Pour respecter l’environnement, autant l’imiter.
Les solutions tirées du biomimétisme nous entourent déjà : les parois de douche autonettoyantes s’inspirent de la feuille du lotus, rugueuse et hydrophobe ; les systèmes d’accroche adhésive des épines des fruits de bardane ; les systèmes de circulation de l’air des éco-habitats des termitières ; la forme du TGV japonais du bec du martin-pêcheur ; certaines architectures complexes du squelette humain ; des champignons qui rendent le béton auto-cicatrisant, les pales rotatives des éoliennes des nageoires des baleines ; ou encore certaines combinaisons de natation de la peau de requin. Leur dénominateur commun : des effets considérables pour un coût minimal.