Dans l’imaginaire collectif, l’ingénieur est moteur de l’innovation. Porteur du savoir technique, il tire le meilleur parti de nos ressources, décuple notre énergie et pousse le monde en avant. En optimisant les flux de personnes, en dressant des infrastructures, en perfectionnant l’industrie, l’armée ou encore la science, il contribue à améliorer notre quotidien. Mais, nous le savons, les rouages de l’innovation ont leurs limites. La surproduction a placé notre environnement en état de surchauffe, a fragilisé ses habitants et exacerbé les inégalités sociales.
Au XXIe siècle, l'ingénieur humaniste ne manie plus seulement des machines, il coordonne aussi des humains. Son rôle : dessiner les plans d’un futur vivable pour tous, la planète y compris.
Comment penser seul un futur viable pour tous ? L’ingénieur sait plus que jamais qu’il doit s’entourer de profils variés pour viser juste. Et en premier lieu de femmes : en 2019, le journal anglais The Guardian rapportait que les femmes étaient 47 % plus susceptibles que les hommes d’être sérieusement blessées en cas d’accident de voiture. En cause, les dispositifs de sécurité des véhicules, conçus majoritairement par des hommes et longtemps testés au moyen de mannequins aux mensurations masculines. Un exemple, pris parmi tant d’autres, qui rappelle que les portes du métier d’ingénieur doivent s’ouvrir en grand pour accueillir des profils les plus variés possible. Le changement avance lentement mais sûrement : 3,5 % en 1963, les femmes étaient 10 % en 1970, 17 % en 2010 et 20 % en 2020 parmi les ingénieurs en poste.
Au-delà du souci d’universalité dans le design des innovations techniques, le besoin de femmes est loin d’être anecdotique. Aujourd’hui, 90 % des experts des services à la personne sont des femmes. Spécialistes des métiers du « care » – c’est-à-dire du soin au sens large, et du bien-être d’autrui –, les femmes peuvent apporter au corps des ingénieurs l’altruisme et le souci du vivre-ensemble dont il a plus que jamais besoin.
Plus largement, c’est en dehors du champ purement technique que les ingénieurs doivent recruter des alliés. Signe des temps, l’armée française s’est depuis peu dotée d’une Red Team composée de 10 écrivains de science-fiction pour anticiper l’avenir et mieux s’y préparer. Dans un pays cartésien où sciences et lettres ont longtemps été renvoyées dos à dos, de nouvelles collaborations vont voir le jour pour concevoir un futur qui soit non plus seulement réaliste mais désirable. Pour résoudre la pollution liée aux mobilités, l’ingénieur devra chercher non à améliorer les voitures, mais à rendre désirables ses alternatives. Pour aborder sereinement l’avenir, il devra renouer le dialogue avec une société de plus en plus critique face aux nouvelles technologies – dont la 5G est l’exemple le plus emblématique du moment. Pour résumer, si le monde moderne avait foi dans un avenir toujours meilleur, le monde post-moderne, lui, ne sait pas de quoi l’avenir sera fait.